ÉVASION SCOLAIRE ET DÉSILLUSION ÉCONOMIQUE : LE DILEMME DES JEUNES MAROCAINS

Mohamed Amine EL MOUATARIF

La rentrée scolaire, autrefois synonyme de retrouvailles et d’espoir, est devenue une évasion de la galère. Ce n’est plus un simple retour en classe, mais une débandade vers l’incertitude, une fuite en avant. L’école, jadis perçue comme un levier d’ascension sociale, s’est muée en cul-de-sac, un mirage qui s’éloigne chaque jour davantage, tandis que les réalités économiques frappent de plein fouet. L’avenir se dessine ailleurs, à l’horizon, dans un “ailleurs”, de préférence européen, qui devient l’ultime échappatoire pour une jeunesse marocaine désenchantée.

Nos ancêtres vantaient le “9etran” local, cette amertume bien de chez nous, meilleure que le miel des autres. Mais aujourd’hui, nos jeunes, désabusés, désillusionnés par un système qui ne tient plus ses promesses, rétorquent : “Le ‘9etran’ d’ailleurs vaut bien mieux que ce faux ‘3sel bladi'”. Ce revirement illustre un basculement profond : là où, hier encore, le sacrifice pour la patrie était une fierté, l’amertume de l’exil devient plus douce que les illusions brisées d’un avenir ici-bas.

Et pourquoi en sommes-nous là ? Parce que le miel qu’on nous a promis s’est révélé être un poison lent, et l’égalité des chances, un mirage. L’école, au lieu d’ouvrir des portes, en referme de plus en plus. Nos jeunes, pris dans l’étau d’un système qui les broie, choisissent le goudron des routes incertaines plutôt que l’étau étouffant d’une vie en suspens.

Ce n’est pas un simple désenchantement. C’est un cri d’alarme… Un SOS. Le choix est cruel mais révélateur : une Europe pleine de risques semble plus prometteuse que les certitudes plombées du pays. On quitte un avenir bouché pour s’aventurer dans l’inconnu, car ici, la précarité est devenue, pour eux, une condition permanente.

Notre cher pays, le plus beau du monde, est cloisonné, scindé en trois catégories (pour ne pas dire classes) : D’un côté, l’élite privilégiée qui accède à des rentes bien protégées, à des niches économiques confortables. Pour elle, les réformes économiques sont synonymes d’opportunités à saisir. Puis, la catégorie du “milieu”, qui se rétrécit à vue d’œil. Elle jongle entre factures et fractures. Elle est la seule véritable contributrice à une économie, dans sa globalité, informelle mais survit à peine. Enfin, il y a cette majorité invisible, celle qui garantit la paix sociale par son silence. Ce sont les “intouchables” marocains. Cette frange que personne ne veut regarder en face. Ils sont absents des grands discours et des politiques de développement, et pourtant, ils constituent l’épine dorsale du pays.

Ce sont ces travailleurs-chômeurs qui subissent de plein fouet les politiques libérales et inégalitaires adoptées par le Maroc, sans en tirer le moindre bénéfice. Exploités, sous-payés… Ce sont eux qui nettoient, construisent, cuisinent, et servent dans une économie de l’ombre, invisible mais vitale. Ils maintiennent pourtant en équilibre un système qui ne les voit pas. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à quand cette invisibilité pourra-t-elle tenir ?

Le sentiment de marginalisation est omniprésent chez leurs enfants. Ils savent que les politiques ne cherchent pas à les inclure, mais à les maintenir dans l’invisibilité, à calmer le feu sans jamais l’éteindre.

Le contraste est violent : d’un côté, une petite élite prospère, de l’autre, une majorité silencieuse qui subit… survit.

Le défi pour un Maroc juste, inclusif et équitable est de redonner espoir et espérance à ces jeunes “invisibles”. Ce n’est qu’ainsi que le Maroc pourra espérer briser ce cercle vicieux de l’inégalité et redonner un vrai sens à l’émancipation sociale et économique. Il est temps de changer de cap. Il ne suffit plus de poser des pansements sur une plaie béante, il faut transformer la société. L’inclusion ne doit pas être un slogan vide, mais une révolution collective et solidaire.
C’est ensemble, unis, que nous pourrons bâtir un Maroc où l’école redeviendra un tremplin, où l’égalité des chances et des moyens sera enfin une réalité, et où l’espoir prendra la place du désenchantement. C’est ensemble, unis dans la diversité, que nous construirons un Maroc où chaque enfant, quel que soit son milieu, pourra réaliser ses rêves.

Ensemble, transformons le goudron en miel. Ensemble, bâtissons un avenir où l’école et l’éducation sont des tremplins et non des pièges, où l’égalité est une réalité et non un mirage.